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Lenéru (Marie): Journal (27 décembre 1914)

Marie Lenéru

Journal

27 décembre 1914

 

 

 

Edmée de La RocheFoucauld "Femmes d'hier et d'aujourd'hui"  surtout sur son théâtre

 

 

...Si je copie des lignes de ma correspondance qui n'ont pas la même valeur de notes littéraires, c'est pour ne rien oublier, pas un battement de coeur envers vous, ô morts pour ma patrie, à qui je veux dédier mon plus grand effort, mon plus grand travail, une pièce dont je ne sais rien encore, si ce n'est qu'elle s'appellera "La Paix" et que je vais à elle, que je m'y prépare religieusement, comme à une vocation, car il faut qu'elle agisse, ce n'est pas en artiste que je veux exploiter la catastrophe... Puisque j'ai eu ce crève-coeur de ne pouvoir faire mon métier de femme auprès de vos agonies, je ferai qu'à l'avenir on ne vous massacre plus...

 

 

 ... Jamais, moi si libre, je ne me consolerai de n'avoir pas pu soigner, ou seulement servir et distraire nos blessés. C'est comme être tenu à l'écart du lit de mort d'un être très cher. Ils sont tellement admirables qu'on ne sait pas qui nous donne le plus envie de pleurer, de l'admiration ou de l'horreur. Pourtant je n'avais pas songé à leur écrire et à prendre un "filleul". En voilà un qui me le demande. Evidemment pour s'adresser à moi, c'est un lettré. Mais comme tous nos confrères du front qui écrivent à Barrès, on sent que, pouvant disparaître, ils cherchent un témoin qui sauve quelque chose de leur nom, leur donne une heure de survivance, et enfin, fasse de leur gloire autre chose qu'un solennel oubli, n'est-ce pas déchirant?

 

A Mr de Curel, - Voilà Robert d'Humières tombé, avec quelle admiration exclusive nous avions parlé de vous! - Je pleure les jeunes gens. Quel coeur nous restera-t-il à faire vibrer, lesquels battront encore pour nous après cette décourageante consommation de la mort?  Et pourtant il faut continuer, demeurer cette petite parcelle de France qu'est notre activité, se donner un prétexte à vivre, une raison de conserver ce qui est enlevé à tant d'autres. Il y a des moments où j'ai envie d'aller m'enfermer dans une cartoucherie, comme dans un couvent.

 

 



11/01/2013
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