poetessesdelagrandeguerre

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Lenéru (Marie): Journal (16 juin 1916)

Marie Lenéru

Journal

16 juin 1916

 

A Henriette. - J'avoue que je trouve ces admirables morts plus déchirants encore que les autres. En ce moment on se demande comment on pourra survivre. Il est à la fois abominable et heureux, que la capacité de souffrir soit si limitée en ce monde. Mais aussi, c'est à ceux qui comprennent de souffrir pour les autres, à la manière de notre chère sainte Thérèse, pour que soit payée l'effrayante dette de douleur que nous lèguent les champs de bataille; dette collective qu'on s'épouvante de voir si légèrement ressentie par les épargnés. devant la guerre ils ne vont pas plus loin que les banales exclamations.

   Tout le monde est d'accord, soit, "tout le monde veut la paix", mais il ne faut pas dire: "on ne diffère que sur le choix des moyens", ce n'est pas cela: "il y a ceux qui veulent organiser la paix définitive, et ceux qui sont convaincus que c'est une utopie". Il est assez clair que ce n'est pas avec ces tempéraments-là que nous ferons jamais la paix: Ah! devant la différence des réactions dans l'épreuve commune, comme on comprend la différence des destinées individuelles...

 

A Puech. - Je ne me console pas de ce que vous me dites de l'existence de là-bas, mais il faut au contraire me dire le pire. c'est notre devoir de souffrir de loin avec vous, on souffre comme on peut! Il n'y a pas un degré de quiétude ou d'accommodement avec la guerre qui ne doive être poursuivi sans pitié, par le rappel de tant de choses impardonnables. Vraiment l'horreur n'est qu'un si léger frisson de surface! Sans cela pourrait-on vivre? Et l'on vit pourtant, à trop peu de choses près.

 

Journal, 16 juin 1916



11/01/2013
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