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Noël (Marie): - II - Chant de la Compassion

Marie Noël

II

Chant de la Compassion

 

Stabat Mater dolorosa

 

L'heure m'éveille. Il est minuit...

Mon Dieu, peut-être cette nuit,

   Mon fils à cette heure est mort.

 

Il gît peut-être pour toujours

Dans sa souffrance sans secours

   Pendant que sa mère dort.

 

Il gît dans ses habits sanglants

Quand chez nous il a des draps blancs

   Et son lit pour y guérir.

 

Il meurt tout seul pendant qu'il a

Dans sa maison moi que voilà,

    Sa mère, pour le chérir.

 

Que dirai-je?... Mon cher petit,

C'est pour mourir qu'il est parti,

   Pour mourir je l'ai donné.

 

Qu'ai-je fait quand il s'en alla?

Je l'ai moi-même ce jour-là

   A la mort abandonné.

 

Et maintenant il a le temps,

Plus faible d'instant en instant,

   Plus las, de crier en vain,

 

De m'appeler toute la nuit

En attendant, à bout réduit,

   Que la mort réponde enfin.

 

Marie, ô Reine des Douleurs

Toi qui t'y connais en malheurs,

   Pitié du ciel, mère aussi;

 

Soeur invisible, toi qui peux

Prendre le chemin que tu veux

   Pendant que je reste ici;

 

Toi qui plus heureuse autrefois,

Assistas ton enfant en croix,

   Debout, trois heures durant;

 

Le mien meurt sans amour, sans soins,

Il meurt sans moi... Mère, ah! du moins

   Suis-le, toi, mon fils mourant!

 

Va l'aider... Je ne peux plus rien.

C'est dans la gloire, je sais bien.

   Qu'il tombe, en train de courir,

 

Je sais bien, c'est pour le drapeau

Qu'il meurt, mais même quand c'est beau,

   C'est toujours dur de mourir.

 

Va l'aider, Mère... D'où je suis,

Je pars avec toi, je te suis

   Dans les bois glacés là-bas,

 

Là-bas dans les ravins ardus

Où seul avec les morts perdus,

   S'éteint le coeur de mon gas.

 

Viens, mets-lui son sac pour appui

Sous la tête, Mère, et sur lui

   Ramène son manteau bleu;

 

S'il pâme couché sur le dos,

Pour qu'il trouve un peu de repos,

   Sur le flanc retourne-le.

 

Rassure-le. c'est un héros,

C'est en chantant, la fièvre aux os,

   Qu'il courait à son devoir,

 

Je sais bien... Mais,la mort venant,

Peut-être il a peur maintenant

   Qu'alentour tout devient noir.

 

Prends-lui la main et, l'endormant,

Fais-le descendre doucement

   Au fond obscur de la mort;

 

Dans les ténèbres sans chemin,

Jusqu'à ta maison, par la main,

   Emmène-le sans effort;

 

Reçois-le dans ton Paradis

Puisqu'il n'a plus d'autre logis

   Pour se reposer en paix.

 

Garde-le, puisqu'n ma maison

Qui l'attendait à l'horizon

   Il ne reviendra jamais.

 

Tu l'auras... Moi je n'ai plus rien...

A présent que le voilà bien,

   Mère, ah! ne me laisse pas

 

Là, toute seule avec mon coeur

Qui va se briser de douleur

   Avant que je fasse un pas!

 

Ne me laisse pas là dehors,

Là toute seule avec les morts

   Qui gisent pareils à lui.

 

Mon enfant, lui qui m'appela,

Mon petit, encor le voilà!

   Il est partout aujourd'hui!

 

Des fils, des joyeux, des hardis,

Des tendres, des doux, des petits,

   En voilà plein les fossés.

 

Plein les champs... A faire ces morts,

Dans la fatigue et les efforts,

   Nos beaux ans sont passés.

 

Nos fils, les voilà... Les douleurs

De notre enfantement, nos pleurs,

   Notre espoir, notre souci,

 

Notre peine de chaque jour,

Nos veilles, nos soins, notre amour,

   Les voilà par terre ici.

 

Ici...là-bas... Toujours des corps...

Ce ne sont pas les mêmes morts,

   Ce sont les autres... Les champs

 

Saignent sous eux... Et les voici

Jeunes aussi, pâles aussi,

   Brisés aussi, les méchants!

 

Les voici, les hautains garçons,

Les voici, les chers nourissons

   Des nourrices de là-bas;

 

Leurs fils, les voici, leur amour

Et leur peine de chaque jour,

   Auprès des nôtres en tas.

 

Aide-nous Marie! - En pleurant

- Le chagrin du monde est si grand -

   Je ne sais où me tourner.

 

Aide-nous toutes! Dans le deuil,

Maintenant jusques au cerceuil,

   Il nous faudra séjourner.

 

Nos fils ne sont plus... Désormais,

Dans la victoire, dans la paix,

   Toutes, chacune en son lieu,

 

Coeurs noirs par les morts envahis,

Nous aurons le deuil pour pays.

   Aide-nous, Mère de Dieu!

 

Deux chants de guerre

 

(dans "Les Chants de la Merci", 1930)



06/01/2013
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