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Noël (Marie): - I - Chant de la Passion

Marie Noël

 

              I

Chant de la Passion

 

La passion de Jésus-Christ,

Il est bon de l'entendre

(Chanson populaire.)

 

                                 Aux morts de la Marne.

 

La Passion de Jésus-Christ,

Il est bon de l'entendre.

Quatre apôtres en ont écrit

Pour nous la faire apprendre.

 

La Passion de nos petits,

Qui nous la pourra dire?

De nos petits qui sont partis

Pour souffrir le martyre?

 

Ils ont quitté chacun leur toit,

Leur terre et, tête nue,

Ils ont pris le chemin tout droit

De la mort inconnue.

 

Ils ont laissé d'un coeur soumis,

Leurs vieux, leurs gars, leur femme,

Pour aller chez les ennemis

Se faire arracher l'âme.

 

Ils ont laissé le pain, le vin,

Le feu dans leurs demeures,

Pour avoir soif, pour avoir faim

Et froid le long des heures.

 

Dans le matin ils ont cherché

Loin, bien loin, quelque croûte

Et puis tout le jour ont marché

Sans connaître leur route.

 

Au tomber de la nuit, rêvant

A quelque toit qui fume,

Ils ont eu pour abri le vent,

Pour couvre-pieds, la brume.

 

Pour lampe, une étoile qui luit;

Pour lit, la terre dure.

La pluie a coulé vers minuit

Le long de leur figure...

 

Et soudain à l'aube - Holà!

Alerte! guerre! guerre! -

Ils les ont rencontrés ceux-là

Qui veulent notre terre.

 

Ceux qui veulent passer sur eux,

Passer avec furie

Pour aller derrière, les gueux!

Tuer notre patrie!

 

Mais nos hommes sont notre mur,

Nos hommes devant elle

Ont tenu bon, ont tenu dur.

L'ennemi les martèle.

 

Nos hommes sont notre rempart,

Et l'ennemi les broie.

Il fond sur eux de toutes parts

Pour atteindre sa proie.

 

A droite, à gauche, il fonce, il mord,

Recule, recommence.

Serrés, nos hommes, à la mort

Barrent la plaine immense.

 

Ah! pourvu, nos hommes, pourvu

Qu'ils soient assez solides!...

L'ennemi sort du bois touffu,

Il sort des guérets vides,

 

Il vient par mille et mille, il vient

Briser notre barrière...

Tenez! nos hommes!... Elle tient.

Et nous prions derrière.

 

Ah! pourvu qu'ils durent!... Deux jours

Passent sur la colline,

Deux encor. l'ennemi toujours

Se rompt sur leur poitrine.

 

Une semaine passe, et deux,

Et d'autres. Ils demeurent.

Et les jours en passant près d'eux

Les regardent qui meurent.

 

.......................................

 

O Dieu! Les balles ont percé

Leur coeur, leur front, leur face.

Le canon les a renversés

Et nul ne les ramasse.

 

Leurs bras, leurs jambes, de leurs corps

Sont tombés membre à membre

Comme le bois des arbres morts

Tombe d'eux en décembre.

 

Leurs têtes pâles ont roulé

Par terre, dans la boue;

Le sang de leur vie a coulé

Par terre, sous leur joue.

 

Le fossé maigre s'est repu

De tout ce sang superbe;

Longuement la terre l'a bu

Pour s'en faire de l'herbe...

 

....................................

 

Ah! campagnes, rassurez-vous

Maintenant. O nos villes,

N'ayez plus peur. Champs de chez nous,

Nos blés, poussez tranquilles.

 

Nos morts nous ont sauvés! Nos morts

Notre chair bien-aimée

Que voilà par terre. Nos forts,

Nos petits, notre armée.

 

Comme Jésus mourant en croix

Pour nous tant que nous sommes,

Nous a sauvés tous à la fois

De l'ennemi des hommes,


Pour nous délivrer des méchants

Ardents à notre perte,

Les voilà, nos morts, dans les champs

Avec leur plaie ouverte.

 

Dormez, maintenant, nos maisons,

Nos tombes offensées,

Reprenez, ô nos horizons,

Le cours de vos pensées.

 

Nous sommes sauvés tous! Voilà

Nos morts de souffrance,

Nos petits qu'on nous mutila,

Nos chers garçons de France.

 

Devant eux qui sont morts pour nous

Sans que rien les arrête,

Venons, mettons-nous à genoux,

Penchons sur eux la tête;

 

Essuyons avec nos cheveux

Leur pauvre front, leurs paumes;

Versons tout notre amour sur eux

Afin qu'il les embaume;

 

Baisons leurs mains, leurs pieds, leur sein,

Leur face endolorie

Comme on fait le Vendredi-Saint

Au Fils mort de Marie,

 

Car tous nos hommes, tous nos fils,

Aujourd'hui - venez femmes! -

C'est eux qui sont nos crucifix,

C'est eux nos sauveurs d'âmes.

 

 

Deux Chants de guerre

(dans les Chants de la Merci, 1930)

 



27/12/2012
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