poetessesdelagrandeguerre

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Visite à la cathédrale de Reims

Visite à la cathédrale de Reims

 

Le chemin qui t'approche et qui conduit vers toi

Est délié, penchant et noble;

On voit se mélanger au flot rose des toits

Les carrés bleus de tes vignobles;

 

Et puis l'on t'aperçoit au centre du vallon,

Un peu petite dans l'abîme,

Toi dont la renommée est le chant le plus long

Que le sol ait voué aux cimes!

 

Ton nom et ta douleur ont dominé les cris

De ceux qui luttent et qui saignent;

Les corps sentaient en toi le mal fait à l'esprit;

Mais est-il sage qu'on te plaigne?

 

- Je t'ai vue, ô beauté que rien n'a pu flétrir,

Plus tourmentée et plus savante,

Sans doute fallait-il que tu saches souffrir

Pour que ta pierre fût vivante,

 

Vivante et délicate, et pareille à la chair,

Inspirant l'amour et les larmes

Quand le vol des oiseaux et l'azur d'un soir clair

Te traversent comme des armes.

 

On ne sait plus quel vent soufflant d'un ciel affreux

A pris ton noble corps pour cible,

A fané ton portail suave et rigoureux,

Et t'a faite enfin si sensible!

 

O face fatiguée et calme, grand témoin

Des sacres, des fléaux, des âges,

L'univers te louait, mais le coeur t'aimait moins

Quand tu n'avais pas ce visage,

 

Ce visage aplani, résistant, consentant,

Qui, montrant les os de sa face,

Sait bien que sa beauté, fille altière du temps,

A la profondeur pour surface!

 

O beau visage osseux où, dans l'emmêlement

De tout ce qu'on voulut détruire,

Flotte de pierre en pierre, indivisiblement,

Le charme illustre des sourires;

 

Les anges, les beaux dieux, les madones, les rois

N'ont pas quitté leurs alvéoles;

Dans ce chaos tranquille et sans nul désarroi,

Leur songe se maintient et vole.

 

Cette antique assemblée aux doigts joints et brisés

A son logis dans ton désastre;

Tu gardes sous ton air finement épuisé

La solide clarté des astres.

 

L'oubli, qui chaque jour mêle tout ce qui fut

Aux cendres légères des mondes,

Se heurte  à ta vigueur qui dresse le refus

De sa présence sombre et blonde.

 

- Qu'on cesse de te plaindre, ô roc, toi que l'on voit

Transpercé par des hirondelles,

Toi, gouffre de l'azur, et la muette voix

Qui dit les choses éternelles!...

 

La Guerre

(dans Les Forces Eternelles, 1920)



24/12/2012
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