poetessesdelagrandeguerre

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Le jeune mort

Le jeune mort

 

Tu meurs, ces mots sont brefs. Quelques mots pour nous dire

          Ce qu'on ne peut pas concevoir!

Ta voix se tait, ton cou jamais plus ne respire,

          Tu ne peux entendre ni voir.

 

Tu fus et tu n'es plus. Rien n'est si court au monde

          Que ce pas vers l'immensité.

Le plus étroit fragment des légères secondes

          T'a saisi et t'a rejeté.

 

En quel lieu s'accomplit ce suffocant mystère

          Dont s'emparent l'air et le sol?

Le souffle, quand le corps se mélange à la terre,

          Monte-t-il vers les rossignols?

 

Mais l'humble effacement de ton être qui cesse

          Vient rendre mon coeur défiant!

J'ai peur de la pesante et rigide paresse

          Pour qui rien n'est clair ni bruyant!

 

Où vis-tu désormais? Etranger et timide

         Combles-tu l'air où nous passons?

Flottes-tu dans tes nuits, lorsque la brise humide

         A la froide odeur des cressons?

 

Quelle fut ta pensée en ce moment terrible

         Où tout se défait brusquement?

As-tu rejoint soudain, comme une heureuse cible,

         L'allégresse des éléments?

 

L'azur est-il enfin la suave patrie

         Où l'être attentif se répand?

Rêves-tu comme moi, au bruit mol et coupant

         Du rouleau qui tond la prairie?

 

- O mort que j'ai connu, qui parlais avec moi,

         Toi qui ne semblait pas étrange,

D'où vient ma sombre horreur lorsque je t'aperçois

         Moitié cadavre et moitié ange?

 

Les respirants lilas, dans ce matin de mai,

         Sont de bleus ilots de délices;

Jeune instinct dispersé, n'entendras tu jamais

         Le bruit d'un jardin qu'on ratisse?

 

Ton âme a-t-elle atteint ces hauteurs de l'éther

         Où vibre la chanson des mondes?

Frôles-tu, dans la paix soleilleuse des mers,

         Les poissons amoureux de l'onde?

 

Comme tout nous surprend dès qu'un homme est passé

         Dans l'ombre où ne vient pas l'aurore!

Se peut-il que l'on soit, l'un du côté glacé,

         L'autre du côté tiède encore?

 

Un mort est tout grandi par son puissant dédain,

         Par sa réserve et son silence;

Ah! que j'aimais ton calme et mon insouciance

         Quand tu vivais l'autre matin!

 

Tu ne comptais pas plus que d'autres jeunes êtres,

         Comme toi hardis, fiers et doux:

O corps soudain élu, te faut-il disparaître

         Pour briller ainsi tout à coup?

 

- Le vent impatient, qui toujours appareille

        Vers quelque bord réjouissant,

Qui se dépèche ainsi que la source et le sang,

        Que la gazelle et que l'abeille,

 

Le vent, vif compagnon du souffle, gai transport

        Qui s'allie avec la poitrine,

Qui fait danser la vie, ainsi que dans les ports

        Les bricks sur la vague marine,

 

Le clair vent printanier qui ressemble à l'espoir,

        Vient-il s'attacher comme une aile

A ton corps embué que je ne sais plus voir,

        Perdu dans la vie éternelle?

 

 ***

 

O Mort, secret tout neuf, et l'unique leçon

        Que jamais l'esprit n'assimile,

Mendiante aux doigts secs, dont la noire sébile

        Fait tinter un lugubre son;

 

O Mort, unique but, abîme où chacun verse

        Sans que jamais nul ne l'aidât;

Cadavre humain qui fis, dans un jardin de Perse,

        Trébucher le jeune Bouddha;

 

O Mort, dont la cruelle et sordide indécence,

        Provocante et s'étalant là,

Rendit sombre à jamais, au sortir de la danse,

        L'adolescent de Loyola;

 

Figue universelle, et que toujours l'on voile,

        Montre-moi bien tes yeux rongés,

Afin que, sous la paix divine des étoiles,

        Dans ce parfum des orangers,

 

Ce soir, le front levé vers la nue qui m'enivre

        Par son éclat voluptueux,

J'oppose à la fureur unanime de vivre

        Un coeur à jamais dédaigneux!

 

La Guerre

 

(dans "Les Forces Eternelles", 1920)



04/01/2013
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