poetessesdelagrandeguerre

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Celui qui meurt

Celui qui meurt

 

Regarde longuement celui qui meurt. Voilà

Ce que la guerre atroce à tout instant consomme:

Elle puise en ce corps son effroyable éclat;

La gloire, c'est Verdun, c'est la Marne et la Somme,

Une armée, c'est un flot compact et rugissant

Où nul visage encor n'émerge et ne se nomme,

Où des milliers de coeurs ont confondu leur sang,

Mais un mourant, c'est un seul homme!

 

Un seul homme étendu: austère immensité!

Un seul, et tout le poids de la douleur sur lui!

Un seul supplicié sur qui tombe la nuit

Dans les champs. Seul vraiment. Pour lui s'est arrêté

Cet unanime élan de colère et d'audace

Qui l'emportait, puissant, multiplié, tenté,

Epars dans son effort, son espoir et sa race!

Il est seul, il n'est plus de ce groupe irrité

Qui harcèle âprement l'obstacle, et l'escalade!

Il est devenu seul. c'est le plus grand malade.

La mort délie en lui les cordes du héros.

Il est tout seul, avec sa chair, son sang, ses os,

Et toute sa chétive et faible exactitude.

Nul n'est semblable à lui: qui meurt n'a pas d'égaux.

Rien ne peut ressembler à cette solitude!

 

O corps mourant à qui plus rien n'est marié!

 

- L'Histoire passe avec ses canons, ses lauriers,

Son tremblement qui moud les routes et les mondes!

Mais cet enfant qui meurt ne sait. La lune est ronde

Au haut du calme ciel où tous les yeux humains

Se posent sans conflit, cependant que les mains

S'acharnent à tuer. Où sont les camarades

De cet enfant qui meurt? Mais les reconnaît-on

Ces guerriers dans la nuit, ces obstinés piétons

Qui n'ont jamais fini de servir? A tâtons

Ils continuent l'épique et sombre promenade

- Et que pourraient-ils dire à celui-là qui meurt? -

Que vous avez vaincu, cher être, on est vainqueur

Quand on est ce mourant sous les astres. naguère

Un homme seul, pareil à vous, sans se plaindre, les yeux

Semblables à vos yeux pleins d'espace. O soldats,

Dont le sang juvénile a coulé sur la terre,

Soyez bénis, chacun, comme peut l'être un dieu,

Christ de la monstrueuse et de la juste guerre! 

 

Juillet 1917

 

La Guerre

(dans "Les Forces Eternelles, 1920)



24/12/2012
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