poetessesdelagrandeguerre

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14 juillet 1919

Anna de Noailles

 

14 juillet 1919

 

Des hommes vont passer sous l'arche triomphale

Qui semble un cri de pierre entr'ouvert sur l'azur;

Forts comme les torrents, fiers comme la rafale,

Ils vont, ceux dont le bras fut agissant mais pur.

 

Pour conquérir le droit de traverser la pierre

Qui, comme la Mer Rouge, a relevé deux bords,

Ces grands prédestinés ont fixé leurs paupières

Quatre ans, placidement, sur l'angoisse et la mort.

 

Ils ont lutté sachant que chaque moment tue,

Que les combattants n'ont ni voeux ni lendemains;

Mais, cédant l'éphémère à ce qui perpétue,

Ces âmes se léguaient à l'avenir humain.

 

La nation que seul l'honneur pouvait convaincre

Avait de ses vivants fait deux sublimes parts:

Ceux qui devaient mourir et ceux qui devaient vaincre,

Et voici les vainqueurs; - leur surprenant regard

 

N'est pas le seul reflet de l'âme satisfaite

Qui connut les travaux indicibles, et vient

A cette heure de joie et de douleur parfaites

Recueillir un laurier dont l'éther se souvient!

 

Un sensible ouragan s'épand sur ces visages,

On sent vivre sur eux d'invisibles secrets,

Ils semblent tout couverts de profonds paysages:

Celui qui les vit naître et ceux où l'on mourait.

 

La France est tout entière au creux de ces épaules

Qui l'ont portée ainsi qu'un joug ferme et serein:

La terre de l'olive et la terre des saules,

Les baumes de la Loire et les torrents du Rhin,

 

La plaine où la chaleur exalte le genièvre,

Les monts où les sapins font un ciel résineux,

Ont envahi leurs fronts, leurs genoux et leurs lèvres:

C'est la France et ses morts qui respirent sur eux!


C'est la France et ses morts qui s'avance et qui passe

Sous l'Arc qui vient restreindre un sort illimité,

Mais la gloire et les pleurs vont rejoindre l'espace

Et relier aux cieux leur noble éternité...

 

La Guerre

 

(dans "Les Forces Eternelles", 1920)



12/01/2013
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