Noël aux Blessés
Noël aux Blessés
Pour les blessés des salles 5 et 9.
Hôpital de la marine, Brest.
Soldats, lorsque ceux de mon âge étaient petits,
Ils écoutaient, grimpés aux genoux de leur père:
" Baneilles, Champigny, Patay, Sedan, Paris..."
Ils tremblaient de douleur, de honte et de colère.
Etre fils de vaincus pesaient sur nos poitrines,
Devant nous s'effarait, rouge, la vision
Des soleils poignardés, des gloires qui déclinent...
Et comme elle emplissait nos yeux, nous les baissions.
Quel miracle a passé? l'impérieuse haleine
Souffle, hâte la vie en notre sang qui bout...
Au pressoir, vignerons, la vendange est prochaine.
Déjà nos fils n'ont plus les mêmes yeux que nous!
Regardez-les, eux, votre amour, votre espérance,
Eux dont vous défendez le pain en vous battant,
Ils sont sûrs, ils appuient à vous leur confiance:
Quelle fierté s'allume en leurs yeux innocents!
Cette fierté, soldats, c'est votre oeuvre: plus belle
Que les chants, les discours, les palmes, les présents,
Je vous l'apporte, gardez-la! voyez en elle
Votre gloire, le prix sacré de votre sang!
Vous me repousseriez si, devant vos blessures,
Je gémissais, plaintive, et d'un coeur affaibli,
Non! à votre vertu je me hausse et mesure.
Selon votre grandeur, celle de mon pays!
Salut, ô faces balafrées,
Bras amputés, pieds en lambeaux,
Muscles rompus, chairs déchirées,
Haillons pareils à des drapeaux,
C'est vous seuls que nous trouvons beaux!
Salut et Noël!
Vers la gloire,
Astre du mage et du berger,
Sois leur étoile, conduis-les!
Et vous, Seigneur, quand la victoire,
Rude vierge qui se débat,
Par eux sera prise à pleins bras,
Pour Noël prochain, je Vous prie,
A leur foyer, ramenez-les!
Dans la douceur de leur Patrie,
Donnez-leur, - Vous la leur devrez
Car, pour nous, ils l'auront conquise, -
La Paix que vous avez promise
Aux gens de bonne volonté!
Décembre 1914
Suite
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