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La mort de Jaurès I

La mort de Jaurès

 

I

 

J'ai vu ce mort puissant le soir d'un jour d'été.

Un lit, un corps sans souffle, une table à côté:

La force qui dormait près de la pauvreté!

J'ai vu ce mort auguste et sa chambre économe,

La chambre s'emplissait du silence de l'homme.

L'atmosphère songeuse entourait de respect

Ce dormeur grave en qui s'englouitissait la paix;

Il ne semblait pas mort, mais sa face paisible

S'entretenait avec les choses invisibles.

Le jour d'été venait contempler ce néant

Comme l'immense azur recouvre l'océan.

On restait, fasciné, près du lit mortuaire

Ecoutant cette voix effrayante se taire.

L'on songeait à cette âme, à l'avenir, au sort.

- Par l'étroit escalier de la maison modeste,

Par les sombres détours de l'humble corridor,

Tout ce qui fut l'esprit de cet homme qui dort,

Le tonnerre des sons, le feu du coeur, les gestes,

Se glissait doucement et rejoignait plus haut

L'éther universel où l'Hymne a son tombeau.

 

Et tandis qu'on restait à regarder cet être

Comme on voit une ville en flamme disparaître,

Tandis que l'air sensible où se taisait l'écho

Baisait le pur visage aux paupières fermées,

L'Histoire s'emparait, éplorée, alarmée,

De ce héros tué en avant des armées...

 

La Guerre

 

(dans "Les Forcees Eternelles", 1920)



28/12/2012
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