La jeunesse des morts (Anna de Noailles)
Anna de Noailles
La jeunesse des morts
Le printemps appartient à ceux qui lui ressemblent,
Aux corps adolescents animés par l'orgueil,
A ceux dont le plaisir, le rire, le bel oeil
Ignorent qu'on vieillit, qu'on regrette et qu'on tremble.
- O guerrière Nature, où sont ces jeunes gens?
Quel est ton désespoiur lorsque saigne et chancelle
La jeunesse, qui seule est fière et naturelle
Et brille dans l'azur comme un lingot d'argent?
Ces enfants, bondissant, partaient, contents de plaire
Au devoir, à l'honneur, à l'immense atmosphère,
Aux grands signaux humains brûlant sur les sommets.
Ils dorment, à présent, saccagés dans la terre
Qui fera jaillir d'eux ses rêveurs mois de mai...
- Songeons, le front baissé, au glacial mystère
Que la Patrie en pleurs, mais stoïque, permet.
Ils avaient vingt ans, l'âge où l'on ne meurt jamais...
La Guerre
(dans "Les Forces Eternelles, 1920)