Escaré-Jordain (Suzanne): A la France (1916)
Suzanne Escaré-Jordain
A la France Gloire à notre France immortelle, (1916)
Gloire à ceux qui sont morts pour elle.
(Victor Hugo)
Levons nos mains, levons nos yeux, levons nos têtes,
Levons nos coeurs. Montons vers la Sérénité!
- Nous sommes secoués par de telles tempêtes
Que nos fermes espoirs, un jour ont hésité!
D'où nous viendra demain le secours efficace?
Sommes-nous donc tombés dans l'abime sans fond
Où tout rayon d'En-Haut s'obscurcit et s'efface,
D'où les mâles vertus, inutiles, s'en vont?
Sous l'assaut furieux fourni par la Démence
Serons-nous les Héros, serons-nous les plus forts?
Et le sang répandu sera-t-il la semence
D'où vont germer plus grands les suprêmes efforts?
Mais nos cris, nos soupirs, nos doutes sont des crimes
Que n'excuserait pas le coeur le plus navré.
- Pour rebondir soudain jusqu'au plus haut des cimes
Il suffit d'invoquer, France, ton nom sacré!
France, reste debout dans ton clair hexagone,
Appuyée à tes mers, appuyée à tes monts.
Que le corps de tes fils au seuil de ton Argonne
Offre un rempart superbe aux pas lourds des démons.
Dresse-toi pour venger tes beaux, tes jeunes hommes
Qui portaient en leurs yeux la clarté des flambeaux...
Ils t'ont donné leur vie, et voici que nous sommes
Penchés pour y prier sur leurs vastes tombeaux.
O Guerrière meurtrie, oubliant tes souffrances,
Combats pour ces seuls mots: Justice, Liberté...
Et ton glaive tombant au plateau des balances
Par son poids souverain, est sûr de l'emporter.
Ton sang coule pourtant, ta cuirasse est percée;
Mais le bouclier reste à ton bras libre et fort,
Entière est ta puissance, et sur ton sein bercée
Comme un enfant heureux, l'Humanité s'endort!
O France reste haute, et droite et calme, ô Reine,
Dérobe ta blessure à l'oeil du noir vautour;
Reprenant ton chemin recommence, - sereine,
Ton geste auguste et fier de semeuse d'amour.
Vers toi nous élevons nos mains, nos yeux, nos têtes
Et nos coeurs angoissés par l'affre du moment!
- Dans ton riche manteau, tu choisis et nous jettes
Tous les espoirs perdus qu'on retrouve en t'aimant! -
Mère, levons vers toi nos mains, nos mains qui prient,
Et nos têtes luttant sous le joug du malheur,
Et nos yeux épuisés dont les larmes expient,
Et nos coeurs grand ouverts au choc de la Douleur!
Décembre 1916
(Publié dans "Les Jeux Floraux de Toulouse" 1920)