Defosse de Libermont (Marthe): De Leysin (1914-1916)
De Leysin
1914-1916
- I -
8 août 1914
Dans la nuit bleuissante,
Sur la montagne respirante,
Je vois au loin le Rhône, miroir de métal,
Réfléchir les clartés du soir occidental,
Et la Nature exhale en caresse embaumée
Dans l'éther vaporeux
La brise du Léman tièdement parfumée
Aux jardins de Montreux.
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Le sanatorium s'illumine à cette heure;
Des groupes dans le parc s'en vont las, dispersés,
Et l'étrange demeure
En ses murs oppressés
De silence
S'enveloppe d'une douceur,
Afin de prendre du Bonheur
L'apparence.
"Etres fantômatiques! O tristes passants
Qui glissez dans la nuit vos gestes languissants,
Corps chétifs que le Mal ne cesse de poursuivre,
Vous montez jusqu'ici pour essayer de vivre."
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Ce soir hélas! dans l'air subtil
Je ne respire plus qu'un lourd parfum d'exil,
Et je recherche en vain les fraîcheurs infinies
Qui depuis cinq années conservent ma vie.
II
5 septembre 1914
La force entière de ma vie est condensée
En un seul désir, en une seule pensée:
Savoir
Ce qui derrière ces monts noirs
Se décide.
Angoissée, j'interroge l'horizon livide
Où les brumes du soir, comme un voile de deuil,
Etendent jusqu'à moi les ombres des cercueils.
III
15 septembre 1914
L'Aurore ce matin vêtue de nuées roses
Essaye déjà sa robe d'apothéose;
La montagne frissonne sous un vent d'orgueil
Qui dissout dans l'éther les nuages de deuil
Et le soleil dont ma patrie s'embrase toute
A l'aube, comme du sang, tombe goutte à goutte.
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Sur un coursier divin que rien ne retiendra,
France! tu vas monter si Haut que tu voudras.
Symbole d'Harmonie,
Tu défends l'Univers en défendant ta vie.
Ta gloire au firmament jette un éclat si pur,
Qu'elle fait baisser même les yeux de l'azur.
A l'horizon ruisselle
La première clarté
D'où va naître l'universelle
Liberté
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Et sous le ciel ami de la Suisse française,
Tous les gamins vaudois sifflent la Marseillaise!
IV
8 novembre 1915
Malades aux doigts blancs
Penchés aux terrasses tels des lys indolents,
Dont les corolles sont déjà presque fanées,
Sur la tige amincie de vos jeunes années
Vers quel rêve, ou vers quel espoir
Sont tournées vos prunelles
Qui semblent voir
Clair dans le noir
Des choses éternelle?
Ce rêve, qu'inlassablement,
Nous paraissons poursuivre,
Est simplement:
Vivre.
V
20 décembre 1915
Soleil resplendissant! O Roi des mondes bleus,
Sois béni, toi qui nous inondes
De tes rayons miraculeux,
Dans un ruissellement de chevelure blonde;
Tu diamantes de reflets
L'hiver éclatant des sommets,
Et les plaines blanchies par la neige nouvelle
Ne sont plus sous tes feux que des prés d'étincelles.
La nature au Printemps dans l'éther de cristal
Frémit sous ton baiser d'un frisson végétal,
C'est toi qui fais mûrir l'été le long des treilles,
Dans un éclatement de rubis, les groseilles,
Et si la nature est encor
Superbe aux jours plus monotones,
C'est que tu mêles tout ton or
Aux couleurs tristes de l'automne.
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Soleil! O toi qui viens par de tristes matins
Et qui parais sourire à nos mauvais destins,
Se peut-il qu'on exprime
La Pitié qui s'épand de ton âme sublime?
Nos regards éblouis
Se voilent sous l'ardeur des flamboyants midis,
Mais ta lueur sacrée en nos yeux se condense
Et nous ne voyons plus que des points d'or qui dansent!
Pour avoir élevé souvent mes bras vers toi,
Un fragment de clarté me reste au bout des doigts:
Lumineuse Parcelle
Qui viendra m'éclairer dans mon ombre éternelle.
VI
3 janvier 1916
Perle encose
Dans l'air phosphorescent,
Entre le ciel obscur et les monts pâlissants,
La lune s'interpose.
Sur l'étendue de neige, sa clarté se pose,
Et dans le paysage immobile et troublant
Où me semble anormal tout ce qui n'est pas blanc,
Une vapeur de lait semble sortir des choses.
"Là-bas à ceux qui tombent sur nos champs sacrés
Va porter ton Adieu nacré,
Lumière!
Et dans le funèbre décor,
O fantôme lunaire,
Que ton linceul ardent couvre le front des Morts!
VII
22 janvier 1916
Aux prisonniers français malades qui vont être internés en Suisse.
Sur le seuil noir des casemates,
Que vos yeux soient désattristés,
O vous que la douleur marqua de ses stigmates,
Voici la liberté!
Déjà le vent d'espoir enlève
La palissade haute où se blessaient vos rêves,
Et vous porte au lointain
Sous un ciel aussi pur que notre ciel latin!
Fin