poetessesdelagrandeguerre

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Ne pleurez pas, femmes en noir!

Ne pleurez pas femmes en noir!

 

Pour l'album de la "Journée du Finistère"

 

Puisqu'ils ne pouvaient pas emporter leur presqu'ile

Avec ses bas chemins tout creusés pour l'affût,

Ses Menez rocailleux, griffés d'ajoncs hostiles,

Ses vallons retranchés, ses milliers de talus;

 

Puisqu'ils ne pouvaient pas rouler à la frontière

Les monstres de Pen-Tir et les géants du Raz

Et tendre, comme un rets de ronciers et de pierres,

Les récifs de l'Armor, les forêts de l'Arc'hoat,

 

Ceux qui savent des flots, du roc et des calvaires,

Comment croire et durer, comment vivre et souffrir,

Fils d'un sol entêté, les gars du Finistère

Ont offert leur poitrine et sont venus mourir.

 

Ils arrivaient: cités, faubourgs, châteaux, campagnes.

Les uns portent du pain noué dans un mouchoir,

D'autres, des léonards, qu'un vicaire accompagne

Ont un grand Sacré-Coeur peint sur leur gilet noir;

 

Ils viennent de la côte et sente la saumure,

Alourdis de sabots, leur béret sur les yeux,

Ils montent des vallons où l'Isole murmure,

Feutres bouclés d'argent, velours, et chupens bleus;

 

Ils traînent derrière eux, comme pour une offrande,

Les chevaux de Morlaix et de Ploudalmézeau,

Hier encor dansant, bondissant sur la lande

Avec le vent du large en plein dans leurs naseaux;

 

Tout ce pays levé s'avance, bien en ordre.

Vois le hérissement de nos caps, ô Teuton!

Mesure le granit sur lequel tu vas mordre,

Passe, si tu le peux, sur le corps des Bretons!

 

*

 

Eux encore, eux toujours aux tournants les plus rudes:

- "Tenez bon! mes enfants, les bretons vont charger!"

Eux, comme un ouragan sous l'enfer de Dixmude,

A l'abordage, entrant dans l'immortalité!

 

Eux, debout sur le pont des navires en flammes:

- " Vive la France!..." Eux, qu'aux rivages étrangers,

Les roses, les parfums et les larmes des femmes,

Ont, comme des dieux morts, embaumés et vengés!

 

*

 

Ne pleurez pas, femmes en noir, l'heure est trop grande!

Ce crêpe, sur vos fronts, flotte comme un drapeau,

Il est, à la victoire, une sombre guirlande,

Baisez sur les plis neufs l'âme de vos héros!

 

A vous voir, dans sa chair qui se révolte et tremble,

Chacune d'entre nous se dit: à quand mon tour?

Nos angoisses, vos deuils, élevons-les ensemble,

Trempons nos faibles coeurs dans un plus large amour!

 

Restons debout, haussant jusqu'à notre courage

Ces tout jeunes enfants dans nos bras abrités;

Sur nos mains, aujourd'hui, pèse leur héritage:

Qu'ils apprennent de nous à savoir le porter.

 

Pen-Hat, en Camaret.

Septembre 1915



06/03/2013
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