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Marvig (Jeanne): les tisserands de gloire (1917)

Jeanne Marvig

 

Les Tisserands de gloire

 

Poème qui a obtenu une primevère d'argent aux Jeux Floraux de Toulouse

(1915-1917)

 

 

Extraits

 

Tes fils se sont dressés! Leur ardente phalange

A quitté le labour, les foins et la vendange,

Bouclé le ceinturon sur le torse puissant;

Et combien, bras en croix, sur la terre française,

Tandis queles canons scandaient la Marseillaise,

Pour les germes futurs ont versé dans la glaise

          La pourpre de leur sang!

 

O mon sage pays, tu pressentais sans doute

Qu'un jour, semant le crime et le deuil sur sa route,

La Barbare, vers nous, jetterait ses fléaux;

Et dans le calme actif et le fécond silence

De tes provinces aux pavés en fer de lance,

Tu formais lentement, pour défendre la France,

             Des chefs et des héros.

 

..........................

 

Et vous, vous, nos soldats, tisserands de gloire,

Qui, pour former la trame ardente de l'histoire,

Croisez les fils de mort sur le métier sanglant,

Vous qui laissez bien loin les exemples classiques,

Et qui vous révélez sublimes et stoïques,

Plus grands que les héros des légendes antiques,

             Vous, la force et l'élan,

 

Soldats, tous les soldats!... Cols bleus et pompon rouge

Ayant l'air, à l'assaut, d'un champ de fleurs qui bouge,

Chasseurs alpins tout bleus - gentianes des monts -

Turcos et fantassins, cavaliers et zouaves,

Artilleurs, marsouins braves entre les braves,

Vous tous qui combattez, frénétiques et graves,

               Admirables démons;

 

O vous, soldats français qu'on admire et qu'on loue,

Soldats, héros martyrs qui souffrez de la boue,

Du fracas des obus, de l'odeur de la mort,

Qui hoquetez, saisis par les gaz délétères,

Qui veillez dans la nuit aux angoissants mystères,

Soldats, honneur à vous!Vos volontés austères

             Font plus pur votre effort!

 

..................................

 

Et lorsque vous aurez dominé la rafale,

Lorsque vous reviendrez, cohorte triomphale,

Dans ce Paris vibrant que vous aurez sauvé,

Vous verrez se presser, plein d'une ivresse tendre,

Par tous les grands chemins, accouru pour attendre

Ceux dont le bras vaillant et fort sut le défendre,

            Un peuple soulevé.

 

Les femmes, saluant d'un cri votre passage,

Jetteront sous vos pieds les fleurs de leur corsage;

Les éphèbes, émus d'un sort qui fut si beau,

Se diront: "Nous vivons une page d'Homère";

Et dans ses voiles noirs et baissés, une mère

Aura, parmi ses pleurs, un sourire éphémère

            En voyant le Drapeau!

 

Vous entendrez soudain monter comme une houle

Le cantique d'amour éperdu de la foule,

Et sur l'Arc de triomphe au plein ceintre vermeil,

Dont un rayon éclairera la pierre grise,

Vous croirez voir piaffer les chevaux de la frise,

Puis, dans son char ailé que le matin irise,

             S'avancer le Soleil!

 

Jeux Floraux de Toulouse (1915-1917), p. 13.



20/12/2012
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