poetessesdelagrandeguerre

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Lambert (France): Au soldat inconnu (1932)

Au soldat inconnu

 

Tu reposes, grand mort, sous la porte sacrée;

Quel songe vient hanter ton sommeil, dis-moi, quand

La place de l'Etoile est seule balayée

Par l'haleine éperdue et sinistre du vent?


Quel orchestre lointain se meurt à ton oreille
Et quel cortège errant de fantômes s'en vient
Se ranger tout autour de la flamme qui veille?
Dis-moi s'il est un coeur qui sait aimer le tien?

 

Quel homme étais-tu donc quand tu vivais ta vie?

As-tu cueilli la fleur d'un grand rêve en mourant

Ou bien de l'amertume as-tu goûté la lie?
As-tu vu l'avenir et ton sort triomphant?


Artiste ou bien poëte, ô charmant dilettante,
Esprit que la douleur divinise encor mieux,
Sur la plaine as-tu vu, dans sa robe flottante,
La muse qui venait pour te fermer les yeux?


Ouvrier, laboureur, honnête ou misérable,
Adolescent, vieillard peut-être, je ne sais;
Tu as quitté le frac ou le manteau minable
Pour vêtir à l'instant l'uniforme français?


Et si tu as été l'amant des folles fêtes,
Reconnais-tu, le soir, en robes de velours,

Les spectres chuchotant qui frôlent de leurs têtes

Les couronnes de fleurs et qui parlent d'amours?

 

Savant qui recherchais l'énigme dans la nue,

L'as-tu trouvée enfin, as-tu donc rencontré
La vérité divine et superbe apparue
Ainsi qu'il est écrit dans le livre sacré?


Etais-tu prêtre, dis, as-tu prêché par mille
Les bataillons émus, groupés autour de toi?
As-tu prêché l'honneur, le devoir, l'évangile,
La force de mourir pour la France et la foi?


Je crois que, dans la nuit où Lutèce est blottie,
La lune d'un rayon te caresse au cercueil
Et pose entre tes doigts la blancheur de l'hostie.
La bise tord la flamme et les rubans de deuil.


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Tu reposes, grand mort, sous la porte sacrée;
Quel songe vient hanter ton sommeil, dis-moi, quand

La place de l'Etoile est seule balayée

Par l'haleine éperdue et sinistre du vent?

 

Publié dans "Les Cahiers Mensuels Illustrés", septembre 1932



25/12/2012
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